Les pêcheurs seraient vite
convaincus du bien fondé de notre attachement au noble matériau, mais les
idées reçues font obstacle à la démonstration : « mes amis pêcheurs en
bambou » vous confirmeront qu'il est presque impossible de confier son refendu
artisanal à un «carbone » rencontré sur la berge de la rivière. Le refus
est toujours essuyé pour les mêmes raisons:
- « le bambou est lourd, mon poignet est habitué aux cannes légères et je ne
saurai pas lancer »
- « le bambou est fragile, je ne
voudrais pas l'abîmer ».
Si nous pouvions seulement balayer ces idées préconçues et convaincre les pêcheurs
d'essayer, simplement d'essayer nos cannes...
Elles sont le résultat de
recherches approfondies en matière de profils, menées par plusieurs bénévoles
qui ont mis au point des programmes informatiques de calcul élaborés (2)
permettant de réaliser la canne désirée (aucune canne n'étant polyvalente
). Elles sont légères (3) ( structure alvéolaire ), lentes ou rapides,
puissantes ou douces, selon ce que souhaite le pêcheur. La gamme des variations
est étendue puisque le profil peut être multicône (4), ce qui est
radicalement impossible avec le carbone.
En règle générale, les vices
d'une canne à mouche - tous matériaux confondus - sont les suivants :
- sensation de lourdeur ( et non poids sur la balance :
certaines cannes n'affichant que 75 grammes sur la roberval semblent plus «lourdes
» en action qu'une autre de 110 grammes),
- transmission insatisfaisante à la soie des
mouvements souhaités par le pêcheur, (exécution fastidieuse ou décevante
des roulés, boucle impossible à serrer ou au contraire à élargir de façon
convenable malgré les tractions de la main gauche sur la soie et les
variations d'amplitude du mouvement du lancer),
- transmission à la soie de mouvements non souhaités
par le pêcheur, essentiellement des ondulations
- posé de la mouche imprécis.
- contre-mouvement de la pointe de scion lors du
ferrage, rendant ce dernier inefficace,
- mauvaise tenue du poisson.
Ces défauts, qui rendent
impropre une canne à sa destination, n'ont aucun lien avec le matériau utilisé
pour la fabriquer mais avec son profil: mal calculé, il n'assure pas une
transmission correcte de l'énergie. Il est relativement facile de les corriger
en modifiant celui d'un prototype : un renforcement léger du talon supprime généralement
le contre-mouvement de la pointe de scion, l'adéquation des côtes à
certains profils éprouvés, tels que ceux de Daniel Brémond, assure une
propulsion parfaite de la soie et une précision extraordinaire de l'outil.
L'excellente tenue du poisson dépend partiellement du profil mais aussi et
surtout de l'utilisation du matériau naturel, sans doute en raison de ses
caractéristiques mécaniques, certainement aussi parce qu'il n'«ovalise» pas.
Or, on sait qu'en matière de
profil, le carbone impose l'unicité de cône, c'est-à-dire la diminution régulièrement
croissante des côtes de la canne de l'extrémité du talon à la pointe du
scion. Il est donc impossible d'apporter les modifications susvisées à un
prototype en carbone qui se révélerait défaillant. Les fabricants procèdent
donc à de nombreux essais en ne conservant que les meilleurs « profils moyens
» et préconisent à grands renforts d'articles les méthodes destinées à remédier
aux inévitables défauts : soie « super-glisse » pour pallier les défaillances
au ferrage, méthode de lancer « Y » pour tenter d'obtenir des lancers et posés
corrects.
Il est incontestable qu'il existe
de bonnes cannes en carbone. Il est néanmoins malheureusement impossible de
produire une série de cannes identiques. La technique de fabrication autour
d'un mandrin conique assure en effet l'existence d'un profil intérieur mais non
extérieur. L'élément est poncé lors de la phase finale de fabrication ce
qui, bien évidemment, ne peut pas assurer de constance dans les côtes.
Par ailleurs, il est impossible
de fabriquer en carbone de petites cannes pour soies légères dignes de ce nom,
Les aiguilles à tricoter, selon la formule consacrée, de 6 ou 7 pieds - vous
savez, celles qui percent le vent - sont incapables de vous assurer la prise
d'un poisson de 400 grammes dans un courant, sauf à utiliser un modèle conçu
pour soie de 7 avec tous les désagréments que cela entraîne lorsqu'il s'agit
de lancer une soie de 4. En revanche, un petit refendu alvéolé (5) de 75
grammes, conçu pour soie de 4, amènera à l'épuisette en quelques minutes un
poisson plus gros, mieux encore que votre carbone préférée de 11 pieds soie
de 4 qui de toutes façons était inutilisable dans cette petite rivière
encombrée de moyenne montagne!
Une canne de 8
pieds soie de 5 répondra merveilleusement aux attentes du pêcheur d'une rivière
moyenne ou large. Il faut savoir qu'une canne « standard » de ce type en
bambou refendu recouvre en réalité une variété très étendue de modèles :
souple, raide, lent, rapide, à action de
pointe, de talon, de milieu, douce, progressive ou rapide, selon les souhaits et
les habitudes du pêcheur. Tout cela uniquement en variant le profil et en
modifiant les différents cônes. Il n'est pas possible de varier dans une même
longueur et pour une même soie le profil et donc les standards de la canne si
l'on utilise le carbone comme matériau de construction. C'est là que réside
l'intérêt essentiel du bambou refendu.
Une critique répandue vise la
longueur des cannes. Le bambou ne permet pas de dépasser raisonnablement 8
pieds et demi et tout pêcheur n'utilisant pas une canne d'au moins neuf pieds
n'aurait rien compris à la pêche. La canne courte le contraindrait paraît-il
à multiplier les faux lancers pour sortir sa soie, l'exposerait à de multiples
«touches arrières », n'assurerait que des « posés bourrasques », rendrait
difficile l'arraché d'une soie longue et ne permettrait pas de faire face aux
coups difficiles.
Il est vrai que nos cannes font
moins de neuf pieds. Mais, contrairement à la rumeur :
- Elles sortent la soie avec peu de faux lancers,
- Il n'y a pas plus de touche arrière qu'avec des modèles
plus longs ( la touche arrière, quelle que soit la longueur de la canne
n'est due qu'à un manque de vitesse de la soie, à un mauvais tempo dans le
lancer, à un geste défectueux ou au dépassement des capacités de la
canne).
- Une action bien calculée permet des posés délicats et
précis à 20 mètres, même avec des cannes de 7 pieds. En tout état de
cause, à
de telles distance, un
coulé s'impose en fin de lancer.
- L'arraché ne pose aucun problème, les difficultés qui
peuvent être rencontrées à cette occasion sont inhérentes à
l'utilisation de grosses soies synthétiques auto flottantes. Ils sont
inexistants avec des naturelles bien graissées.
- Tout utilisateur de refendu confirmera que la bagarre
avec un poisson est facilitée et réduite au strict nécessaire.
- Quant aux coups difficiles. En août dernier, je pêchais
la DORDOGNE avec un refendu de 8 pieds par eaux un peu hautes. Les ombres à
atteindre étaient à vingt mètres. Un « carbone » m'avait vu faire. Le
lendemain soir, revenus tous deux sur le même coup, nous avons engagé la
conversation. Lorsque je l'invitais à partager le terrain avec moi, il me répondit:
«je n'ai pas un refendu et ne peux lancer assez loin pour les atteindre »
... Il a cependant refusé d'essayer ma canne.
La rumeur, toujours la rumeur.
- Reste la pêche en eau rapide. La canne longue est
peut-être plus avantageuse, mais inutilisable si le torrent passe sous un
couloir de végétation.
En réalité, les mérites tant
évoqués de la neuf pieds synthétique ne doivent pas l'être par rapport au
bambou mais par rapport aux synthétiques plus courtes. L'admiration sans faille
de certains pour les cannes de cette longueur est due à
la sensation de plus grande
qualité qu'ils ressentent à leur utilisation. La longueur - et donc la section
plus importante au talon - compense en effet une partie des défauts du profil mono cône.
Qu'ils essaient, sans a
priori injustifié, un bon refendu de huit pieds.
Vincent
LAFARGE
(1)
Deux techniques de construction doivent être distinguées.
La première totalement artisanale. La seconde semi-artisanale en raison de
l'utilisation d'une machine à fraiser les baguettes. La finition obtenue est identique dans les
deux cas et le recours à l'une ou l'autre méthode est sans influence sur les
qualités mécaniques de la canne qui dépendent d'autres facteurs que la
taille: refente, qualité de l'abattage des noeuds, trempe des éléments et préservation
des fibres primaires.
(2)
Un hommage particulier doit être rendu à Daniel BREMOND dont
les recherches en matière de calcul des profils sont à l'origine de la
renaissance du bambou refendu, Les profils obtenus après intégration de paramètres
variables( numéro de soie, distance de lancer notamment ) n'ont strictement
rien à voir avec ceux des cannes fabriquées antérieurement. MM. CAYRE et
BODEAU ont de leur côté informatisé la méthode de calcul mise au point par
le constructeur américain E. GARRISON et l'utilisation de leur programme,
particulièrement aisée, très répandue chez les constructeurs amateurs.
( 3)
Les poids moyens de quelques refendus de construction alvéolaire
sont les suivants:
·
6 pieds soie de 4
: 75 gr
7 pieds soie de 5
: 90
gr
7 pieds
1/2 soie de 5 : 105 gr
8 pieds soie de 5
: 110 gr
(4)
Le « profil » d'une canne est la représentation
graphique des côtes d'épaisseur des éléments formant la canne montée, mesurées
tous les dix centimètres. Il peut être monocône si les côtes ont une dégressivité
régulière, il est dit multicône lorsque la dégressivité varie d'une section
à l'autre ( pente de 2 pour 1000 sur le talon et de 4 pour 1000 sur le scion
par exemple ).
(5)
L'alvéolage consiste à créer de petites alvéoles à l'intérieur
des éléments pour alléger l'ensemble et améliorer les caractéristiques mécaniques.
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