LE VIEUX MOUCHEUR 

7 - Les leurres

 

 

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LES LEURRES

La taille du leurre, ce qu’il est sensé représenter et l’environnement où il est appelé à évoluer appellent quelques remarques d’ordre général qui en régissent les règles de montage.

La taille

Le bien-fondé de la règle “ A gros leurre, gros brochet. A petit leurre, petit brochet “ s’est trouvée, en ce qui me concerne, très largement vérifiée sur le terrain.

Je me souviens notamment d’une partie de pêche à trois sur un grand plan d’eau bien peuplé en sujets mordeurs. Sur deux jours, il avait été ferré quelques cent cinquante poissons, à peu près le tiers par chacun. Deux pêcheurs utilisaient des streamers du commerce longs de quelques centimètres seulement. Ils n’ont accroché que des sujets de taille modeste. Le troisième pêchait avec un streamer « Moustache » de 20 centimètres. Ne s’y sont intéressés que des sujets de taille respectable: le plus petit dépassait les 60 centimètres, deux allaient au-delà du mètre. Cette expérience fortuite pourrait presque être considérée comme une confirmation statistique de la règle ci-dessus. Certes, comme toute règle, elle comporte des exceptions mais, à mon avis celles-ci sont peu significatives et d’ailleurs plus apparentes que réelles bien souvent.

En effet, j’ai eu l’occasion de capturer, sur un très gros streamer, un sujet de 90 centimètres qui régurgitait une véritable purée de gammares. On aurait dit qu’il les avait attrapées à la manière d’une baleine aspirant le krill. Des proies minuscules certes, mais en grandes quantités d’un coup. Du caviar, mais à la louche!

Une autre fois, un monstre marsouinait tranquillement au-dessus de deux mètres d’eau, le long d’une bordure de joncs. Seule sa dorsale émergeait tous les deux à trois mètres. Il semblait paisiblement occupé à enfourner des bancs entiers de minuscules alevins qui grouillaient littéralement en surface. Le gros streamer, qui lui est arrivé du ciel, a été attaqué dès la première tirée. Mal ferré, il s’est décroché à moins d’un mètre du bateau. Juste assez près pour que, dans une eau limpide et par le travers, il puisse laisser admirer son look d’athlète et donner au pêcheur malchanceux le regret de l’occasion manquée. « Environ 135 centimètres, entre 35 et 40 livres!! » s’est lamenté mon guide. Un streamer là aussi a été préféré à des proies minuscules même par bouchées conséquentes.

A contrario, il m’est arrivé aussi de raccourcir un grand streamer monté en tandem et de ne conserver que les quatre à cinq centimètres de l’hameçon de tête pour faire cesser une série de tapes sans suite et pouvoir conclure. Il s’agissait la plupart du temps de brochetons, quelquefois, mais très rarement, de sujets de taille seulement moyenne.

Je n’ai donné ces exemples que pour montrer tout l’intérêt de ne pas craindre le gigantisme en la matière, pour autant que le streamer reste encore propulsable au fouet. C’est pourquoi il appartient au pêcheur de monter ses propres leurres sachant qu’une longueur de 15 centimètres doit être considérée comme un petit minimum. En effet, raisons techniques ou financières prévalant, la plupart des modèles commercialisés sont ridiculement petits et inadaptés. Beaucoup paraissent être d’abord des modèles de catalogue avant de pouvoir être considérés comme des engins à pêcher.

Aspect et couleur

Les leurres à brochet sont censés représenter des proies potentielles. Celles qu’il consomme sont en majorité constituées de poissons fourrage. Exceptionnellement elles peuvent provenir de la surface ou y évoluer (grenouilles, canetons etc...) voire même se trouver sur le fond puisqu’il s’en prend au hareng saur et à la calée.

A l’affût, un brochet localise sa proie en utilisant le système récepteur-sonar un peu particulier que constituent ses pores céphaliques et sa ligne latérale. Ce n’est que dans un second temps, semble-t-il, qu’intervient la phase de repérage visuel.

Je me souviens en effet d’une expérience faite par temps ensoleillé et dans une eau d’une limpidité de cristal. Un beau sujet se tenait immobile en pleine eau et un peu en dessous de la surface. Le streamer, lancé à une dizaine de mètres de lui par son travers arrière, venait de tomber sur les feuilles d’un bouquet de nénuphars. Il ne pouvait donc être vu. Spectacle fascinant que de voir ce sous-marin se mettre à pivoter doucement et se positionner exactement dans l’axe du point de chute. Dès les premières tirées, il s’enfonça lentement et disparut comme mécontent d’avoir été dérangé pendant sa sieste au soleil.

Affaire sans suite donc mais riche d’enseignements. Elle a constitué pour moi l’ultime preuve obtenue in situ que la toute première qualité fonctionnelle d’un leurre était bien son aptitude à s’annoncer du plus loin possible avant même de pouvoir être aperçu du prédateur.

Il a été beaucoup disserté sur les couleurs qui faciliteraient le repérage visuel. Là aussi, tout ou à peu près tout a été dit et écrit. Telle couleur devrait être réservée aux eaux froides; sans telle autre, point de salut en eaux chaudes. Telle teinte ne serait efficace qu’en profondeur; changement de nuance impératif pour pêcher en surface etc... Qu’ils présentent des streamers, des cuillers ou des poissons nageurs, l’étendue de la palette colorée des catalogues et revues spécialisés donne le vertige.

Depuis pas mal d’années je pêche avec des streamers dont les ailes sont montées en fines mèches de mylar dans toutes sortes de teintes, de l’argent au violet en passant par le rouge vif, la framboise, le cuivre, le vert franc et le bleu outremer. Un montage spécial bleu-blanc-rouge est même réservé au 14 Juillet parce que ces guirlandes de Noèl amusent beaucoup mes hôtes. Tous ces montages ont marché sans qu’il ait été possible de constater de différence significative sur la qualité et la quantité des prises selon la teinte utilisée.

Alors pourquoi opter pour telle couleur plutôt que pour telle autre? A mon avis, tout simplement selon la fantaisie du moment, quand la beauté du décor naturel donne envie de “pêcher joli” et de se faire plaisir. Quand le leurre inspire confiance on pêche mieux. Air connu!

A y regarder de près cependant, tous ces montages diversement colorés ont en commun le brillant du matériau et son extrême mobilité.

Par contre, lorsqu’il s’agit de montages avec des composants diversement teintés mais mats cette fois (ex: bucktail) certaines couleurs, notamment les claires, seraient les plus performantes estiment les Hollandais. C’est bien le cas du streamer “Piker’s point” de Guido Vinck à l’efficacité éprouvée. Il s’agit d’un montage tricolore de style matuka en jaune, blanc et magenta agrémenté de quelques fibres brillantes de Crystal hair.

Pour autant que soient transposables chez le poisson les règles de la physique de la perception rétinienne chez l’homme, ce streamer serait performant en vertu, me semble-t-il, de la loi des contrastes. Il comporte deux teintes, blanc et jaune, qui, ceci est bien connu des coloristes, s’éclaircissent encore davantage sur fond sombre. Il utilise également un rose qui devient plus lumineux sur fond de végétation à composante complémentaire verte. De fait il marche bien, très probablement parce que ses couleurs sont lumineuses et sans doute aussi, il faut le noter, parce qu’elles sont signalées par les éclats du Crystal hair.

En résumé, malgré tout ce qui a pu être dit ou être écrit à ce sujet, la pratique m’a convaincu que l’important dans un leurre à brochet était non sa couleur mais d’abord son aptitude à brasser l’eau. Son éclat, pour autant me semble-t-il qu’il ne soit pas éblouissant, m’est aussi apparu plus essentiel au repérage visuel que la couleur elle-même. J’estime, à tort peut-être mais ceci est mon intime conviction, que les données à prendre en compte lors de sa construction devraient être ainsi hiérarchisées: mobilité, ensuite brillance, enfin luminosité relative et contraste des couleurs mais surtout pour les matériaux mats 

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