Conte de Noël
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"GWECH OA..."Conte
de Noël
En grelottant, il se
recroquevilla sous la mince couverture allouée à chaque prisonnier pour
l’empêcher de périr de froid dans ce cachot glacial. Il songea que lui aussi
plus tard, bien plus tard, il pourrait raconter « Gwech
oa e Breiz Izel... Il était une fois en Basse Bretagne... » Ah !
Oui mes amis ! Ce pourrait être un conte et pourtant ce n’était que la
stricte vérité. Tout avait commencé
l’avant-veille, lorsque le Chef lui avait refusé sa permission de Noël.
Jamais celui-ci n’aurait imaginé qu’un sans grade oserait s’aventurer à
l’extérieur sans le précieux laisser-passer. Et pourtant SOUDARDIG le
petit soldat eut cette audace et partit quand même. Ah! Mes enfants! Si vous
aviez entendu les battements de son cœur quand, sur le quai de la gare, il était
tombé nez à nez avec une patrouille. Heureusement pour lui, elle était peu
encline ce soir-là, à vérifier si tous les partants étaient en règle ! Et
quelle émotion quand, quatre heures plus tard, il débarquait à contre-voie
et s’enfonçait dans la nuit vers l’impérieux rendez-vous. Aspirant à
grandes goulées les senteurs iodées de la mer toute proche, il prit la route
de Coat-an-dour. Le vent du large avait balayé les lourds nuages de neige.
Seules, tout là haut, couraient quelques cavales à la crinière effilochée.
La nuit essayait déjà sa parure de réveillon. La Voie Lactée lissait ses
cheveux d’ange et un peu partout scintillaient des guirlandes d’étoiles.
N’eussent été ce froid vif et sa hâte d’arriver, il se serait assis là,
dans l’herbe crissante, pour mieux jouir du spectacle. Mais on l’attendait! Il ne pouvait se
laisser
aller à rêver et allongea le pas. Les pierres du chemin durci par le gel se
retournaient pour voir passer ces étranges chaussures cloutées qui gémissaient
bizarrement. La capote était lourde et lui donnait chaud. Du blouson kaki
remontait une forte odeur de naphtaline et, il en aurait juré, des relents de
suint d’une laine mal dégraissée. En forçant
l’allure, moins d’une demi-heure après, il gravissait la dernière côte.
Parvenu à l’ultime tournant, il s’émerveillait encore une fois du paysage
pourtant familier qui s’offrait à lui. Emmitouflé dans son foulard de châtaigniers,
le chemin creux plongeait jusqu’au vieux moulin en serpentant
avec des grâces
de coquette. Tout en bas, dans son creuset de roseaux, brillait l’argent du
paisible étang, fruit des amours de la fougueuse rivière venue s’abandonner
dans les bras du bief. Terme de ce voyage
clandestin, derrière la toiture de la salle des meules se cachait le logis de
celle qu’il était venu retrouver. Quel accueil lui réserverait-elle, alors
qu’il l’avait brusquement abandonnée? Ne se serait-elle pas lassée
d’avoir vainement guetté son retour ? Ne se serait-elle pas consolée des
caresses d’un autre? Non cela ne se pouvait ! Elle lui avait toujours témoigné
une fidélité à toute épreuve. Toujours elle avait repoussé les invites, même
amicales. Et pourtant, il
quittait le chemin comme s’il voulait surprendre sans être surpris. A son
intention, le sous-bois complice avait déjà émietté la dernière chute de
feuilles mortes. Il étouffait maintenant ses pas dans un moelleux parterre
d’humus. Inquiètes, deux poules d’eau s’envolèrent bruyamment du taillis
où elles s’étaient perchées pour la nuit. L’étang les accueillit en
pouffant de rire dans une gerbe d’étincelles d’argent. Puis tout se tut. Craignant sans
doute pour la couvée de jonquilles et de narcisses qu’il ferait éclore au
printemps, le tapis d’herbe de l’orée du bois fut moins conciliant. Il
protesta un peu dans un crissement de givre froissé. Ce fut
probablement ce qui donna l’alerte. Car SOUDARDIG le petit soldat avait déjà
tendu la main et tiré le loqueteau quand il perçut, mais trop tard, le souffle
furieux qui passait sous la porte. Trop tard aussi pour contenir la brutale
poussée sur le vantail qui le jetait à terre! Maudite soit cette idée
saugrenue de vouloir entrer comme un maraudeur! A peine
touchait-il le sol qu’un monstre tout velu s’abattait sur lui. Il se voyait
déjà la gorge ouverte quand le terrifiant retroussis de babines disparut comme
par enchantement. A l’instant même où la Bête allait mordre l’intrus,
venaient de remonter à ses narines les effluves du Maître tant attendu! Prise d’un
soudain tremblement, elle sentit monter de ses entrailles un interminable
hurlement dans lequel, malgré elle, tentait de s’exprimer l’inexprimable
bonheur des retrouvailles. C’est ainsi que
tout le menu peuple du vallon apprit que MELENIK, la redoutable chienne de
Coat-an-dour, venait de retrouver son maître. Il faudrait donc se résigner à
ne plus la voir attendre tout le jour à l’entrée du chemin par où avait un
jour disparu on ne se souvenait plus très bien qui. Le renard installé
depuis peu dans le secteur, chargea sa besace et se remit en route vers un
territoire plus sûr. La colonie de lapins qui avait profité de la trêve de
ces derniers mois pour s’étendre, sut que les hostilités allaient reprendre.
Elle décida, sur l’heure, de doubler les sentinelles et de ne plus s’éloigner
de la garenne. Au travers de la roselière, les vieux foulques faisaient passer
la consigne aux plus jeunes: ne
plus aborder dans la cour, ne plus tenter de picorer les graines réservées
aux dindes. Réveillée par le
coq, toute la basse-cour se remit la tête sous l’aile en soupirant d’aise.
Dès le lever du jour et en toute sécurité, il allait à nouveau être
possible de quêter les vermisseaux en sous-bois. De tout cela
MELENIK ne se souciait guère pour l’heure. Le premier instant de stupeur passé,
c’est sans retenue aucune que, folle de joie, elle fêtait le retour du voyageur.
Jappant, léchant, bondissant, elle lui disait combien il lui avait manqué. Le
cœur trop plein d’allégresse elle tentait d’endiguer son débordement
par une course folle. Peu lui importaient les crissements indignés de l’herbe
dont elle froissait la parure empesée de givre Ce ne fut qu’un
long moment après, qu’enfin calmée, elle put, comme avant, venir se
blottir contre lui. Alors, il put lui raconter par le menu la triste vie au
casernement, mais qu’en ce jour de Noël, ils allaient fêter leurs
retrouvailles. Point ne fut
besoin de le lui répéter. Le temps de pénétrer dans le moulin et d’y faire
de la lumière, MELENIK, toute frémissante, se tenait déjà sous le râtelier
à fusils. Ah mes amis! Quel Noël! Jamais patrouille de nuit ne se fit avec
autant de discrétion. Dès la sortie des
braconniers, les poules d’eau avaient alerté la roselière qui cessa de
caqueter, de cancaner et de siffler. Seul un colvert de passage n’avait pas très
bien compris les consignes lancées à la hâte par les autochtones. Il
n’eut même pas le temps de prendre de la hauteur et mettre le cap au sud,
qu’il retombait foudroyé. Le vallon n’avait pas encore fini de déguiser la
détonation en roulement de tonnerre, que MELENIK avait rapporté ce qui
serait le repas de Noël de son maître. Et, sans plus attendre, elle se mettait
en quête de son propre menu. La garde renforcée
des lapins avait signalé leur approche. La garenne était déserte. Effrayés,
les lapereaux se terraient au plus profond de leurs souterrains. Aussi MELENIK
commençait-elle à croire qu’il lui faudrait se contenter d’un fade
morceau de volatile quand ses narines frémirent. Le fumet du capucin lui
parvenait de la lisière du bois. Blotti dans les feuilles mortes, Longues
Oreilles n’eut pas le temps de se déplier que, le dos broyé, il passait de
vie à trépas. Pendant ce temps,
SOUDARDIG le petit soldat était entré dans le courtil du moulin. Là,
bien à l’abri des regards indiscrets, reposait depuis toujours la fouëne des
grandes occasions. Son existence et son maniement se confiaient en grand secret
de génération en génération à chacun des meuniers qui s’étaient succédés
dans le moulin de Coat-an-dour. Car depuis des
temps immémoriaux Salmo Salar, le grand saumon de l’Atlantique, et ses congénères
remontaient chaque année dans la rivière pour y célébrer leurs noces et
s’y reproduire. Et depuis toujours, l’un
ou l’autre d’entre eux attendait, en aval du bief, la crue prochaine qui lui
permettrait de franchir le perré et de remonter vers les sources. Le grand
poisson migrateur se reposait toujours derrière la grande pierre sur les
graviers du courant qui s’échappait de la grande roue. SOUDARDIG le petit
soldat avait reçu ce secret de son père qui lui-même le tenait de son grand-père.
Voilà pourquoi, la fouëne à la main et le bras haut levé, il se laissait
glisser dans la rivière et, aussi discret qu’une loutre, s’approchait du
fuseau sombre que la lune lui montrait dans l’eau cristalline. Il frappa comme
l’éclair et, tel Neptune sortant des ondes, il remontait sur la berge en
brandissant son trident sur lequel
était empalé le poisson royal des occasions exceptionnelles. Ce ne fut plus
alors qu’un jeu de rentrer, d’allumer une flambée, de plumer, dépecer, écailler,
vider, embrocher et rôtir. Toute revigorée
par la chaleur qu’elle sentait monter dans ses entrailles, la cheminée du
moulin hissait vers le firmament un oriflamme de fumée blanche fleurant bon
la bûche de chêne et les graisses rôties. Envolée la mélancolie
qui avait creusé les flancs et terni la fourrure de l’animal. Oubliée
l’insipide ration du soldat! Devant le foyer, nos convives ripaillaient. Quand ils se couchèrent,
le soleil, un peu honteux d’avoir trop dormi, s’arrachait de ses draps de
brume en frissonnant dans le froid du petit matin. Et lorsqu’ils se réveillèrent
tout à fait, il y avait bien longtemps déjà que le coq avait conduit la
basse-cour gratter les feuilles mortes dans les broussailles. De longues
heures s’étaient écoulées depuis que la petite locomotive avait disparu
en sifflant derrière la colline. Aussi le retour au
casernement ne put-il s’opérer dans la discrétion parmi le flot bruyant des
permissionnaires. D’ailleurs le petit train, qui se piquait de bonnes manières
depuis qu'il allait en ville, trouva inconvenante cette rentrée tardive. Dès
qu’il aperçut le chef de patrouille, et comme pour s’excuser de s’être
fait complice de la fraude, il lui désigna le coupable en grinçant de toutes
ses roues. C’est ainsi que
le fautif fut découvert et jeté au cachot dans lequel il grelottait encore. Et
pourtant il se prenait à sourire. Car, les gémissements des dernières bises
annonçaient déjà le rire du printemps et, avec lui, sa libération prochaine.
Il sortirait juste à temps pour assister à la floraison des jonquilles au
creux du vallon de Coat-an-dour où patiemment MELENIK guettait son retour. Saint-Sébastien-sur-Loire, Noël 2004 Paul LE GALL
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